9 femmes autistes sur 10 victimes de violences sexuelles

Co-réalisée par Fabienne Cazalis (chercheuse au CNRS et membre du comité consultatif d’Auticonsult), Elisabeth Reyes, (consultante Auticonsult), et les cliniciens Séverine Leduc et David Gourion, cette étude a porté sur un large échantillon composé de 225 femmes françaises diagnostiquées autistes ayant accepté de répondre à une enquête en ligne partagée par plusieurs organisations locales (Association Francophone des Femmes Autistes, Asperger Amitié, Asperger Aide, France Asperger…).

La lecture de l’article est ouverte à toutes et à tous de manière gratuite, et l’ensemble des données et des analyses statistiques du travail est en accès libre. Par ailleurs, les chercheurs invitent « n’importe quelle personne qui le souhaite à faire des analyses complémentaires ».

Les résultats livrés par cette recherche sont alarmants et viennent interroger les pistes de prévention à mettre en œuvre pour protéger les femmes autistes contre le risque d’agressions sexuelles.

88% des participantes ont subi des violences sexuelles

Afin d’estimer le taux de femmes autistes ayant connu des violences sexuelles (attouchements sexuels, viol, tentative de viol) au cours de leur vie, les chercheurs leurs ont d’abord posé la question « avez-vous déjà été victime d’une agression sexuelle ? », puis plusieurs questions issues du Sexual Experiences Survey Short Form Victimization questionnnaire (SES-SFV) portant sur des situations spécifiques.

Dans le premier cas, 66% des participantes ont déclaré avoir subi des violences sexuelles, contre 88% dans le second, soulignant le fait que certaines n’avaient pas réalisé que leur expérience était assimilable à des abus, et rappelant ainsi l’importance de la formulation des questions dans ce type d’étude.

Des agressions multiples et à un très jeune âge

S’ajoute à cette forte proportion une double peine : 75% de l’ensemble des participantes déclarent avoir subi des agressions à de multiples reprises, un nombre important qui peut être expliqué, entre autres, par l’âge auquel elles ont subi leur premier abus.

68% et 19% des victimes ont respectivement connu leur première agression avant l’âge de 18 et 9 ans. Selon les auteurs, plus l’agression interviendrait à un jeune âge, plus la personne serait exposée au risque d’être à nouveau victime de violences sexuelles au cours de sa vie. Des études précédentes ont en effet montré que les enfants autistes agressés seraient dix fois plus susceptibles que les autres d’adopter un comportement hypersexualisé facilitant les abus par les agresseurs (Mandell et al., 2005) et que les filles autistes entreraient dans la puberté plus précocement que les filles non-autistes et que les garçons autistes, augmentant le risque de harcèlement sexuel (Corbett et al., 2020).

Les stratégies mises en œuvre par les agresseurs consistaient dans la plupart des cas à manipuler leurs victimes, à leur mentir, à les menacer de mettre fin à la relation ou de répandre des rumeurs à leur sujet, à les harceler verbalement, ou à profiter d’elles quand elles se trouvaient dans une situation où il leur était impossible de stopper l’agression.

Finalement, seul 1/3 des participantes ont déclaré avoir signalé ces agissements aux autorités ou à leur entourage, et 26% d’entre elles n’ont pas été crues.

Des conséquences importantes sur la santé mentale

Pour les femmes autistes comme pour la population générale, le vécu de violences sexuelles génère des effets néfastes sur leur santé mentale. Celles victimes d’un ou plusieurs viols sont aujourd’hui encore nombreuses à souffrir de stress post-traumatique. La moitié des participantes a également déclaré avoir souffert de troubles de sommeil (48%), éprouver du dégoût pour la sexualité (47%) et un tiers déclarait avoir tenté de s’auto-mutiler (31%) dans les six mois ayant suivi l’agression. Le fait de vivre un ou plusieurs abus sexuels nuit donc gravement à la santé mentale des personnes, ce qui de surcroît, augmente considérablement leur risque d’être victimes de violences sexuelles.

L’autisme, facteur de vulnérabilité ?

Les résultats livrés par cette étude amènent à se demander si les traits caractéristiques de la population autiste constituent un facteur de vulnérabilité l’exposant de manière plus importante au risque de violences sexuelles. Pour répondre à cette question, les chercheurs ont eu recours à la Ritvo Autism Asperger Diagnostic Scale-Revised (RAADS-R) évaluant les traits autistiques à partir de différentes sous-échelles, et ont montré que plus une personne obtient un score élevé sur le sous-score « Réactivité sensorielle », plus le risque d’être victime de violences sexuelles  est élevé.

En dehors de celui-ci, aucun sous score n’a révélé de résultat significatif, sous-tendant alors que ce ne serait pas l’autisme en soi, ni les difficultés de communication sociale associées à l’autisme, qui constitueraient des facteurs de vulnérabilité à la violence sexuelle, mais plutôt le fait d’être différent. En effet, cette différence augmenterait le risque d’intimidation, de rejet, de stigmatisation et d’isolement qui, eux, constituent des facteurs réels augmentant le risque d’en être victime.

L’autisme constituerait alors en ce sens un facteur augmentant la vulnérabilité, mais dans le cas particulier des femmes autistes, la cause principale des violences sexuelles demeurerait selon les chercheurs leur genre, puisque les auteurs d’agressions sexuelles ciblent de préférence les femmes et les filles.

Quelles pistes de prévention ?

À l’issue de cette étude, il convient de s’interroger sur la manière de prévenir et de sensibiliser au mieux aux violences sexuelles. Les auteurs de la recherche préconisent l’adoption de mesures à la fois générales et communes à l’ensemble des femmes, et de mesures plus spécifiques tenant compte des spécificités des femmes autistes.

Dans la mesure où ces abus sont le plus souvent perpétrés par des personnes proches, exploitant leur ascendant ou leur pouvoir hiérarchique sur une victime dont l’âge est le plus souvent inférieur à l’âge légal du consentement (15 ans en France), les méthodes éducatives ne présentent qu’une efficacité limitée. Attendre de mineures en situation de handicap qu’elles se protègent par elles-mêmes grâce à l’éducation s’apparenterait par ailleurs à une forme de victim-blaming. De même, si 4 participantes sur 10 déclarent que la connaissance du risque et des stratégies d’affirmation de soi auraient pu prévenir l’agression, cette méthode ne semble pas, elle non plus, tout à fait pertinente.

Sans remettre en cause l’importance de ces méthodes de prévention, les auteurs leur préfèrent les programmes à grande échelle et les actions visant à favoriser les changements culturels profonds, telles que recommandées par le Center for Disease Control et l’Organisation Mondiale de la Santé.

Les deux organismes ont en commun de favoriser l’enseignement de stratégies visant à améliorer les compétences en communication interpersonnelle, en gestion de conflits, en prise de décision partagée pour prévenir la violence sexuelle, à créer des environnements protecteurs et sécuritaires (écoles, espaces publics et environnements de travail sûrs), à offrir aux filles et aux femmes des opportunités pour gagner en autonomie et réduire la pauvreté (stratégies d’autonomisation économique et sociale, renforcement des compétences en matière d’auto-efficacité, d’affirmation de soi, de négociation et de confiance en soi), et à questionner les attitudes, croyances, normes et stéréotypes sexistes néfastes.

Remarques d’Elisabeth Reyes, consultante en Data Analyse chez Auticonsult, sur la réalisation de ce projet de recherche

Le projet MACA (Mapping Autistic Cognitive Abilities) constitue un programme de recherche dirigé par Fabienne Cazalis dont l’objectif est d’identifier les domaines cognitifs dans lesquels les personnes autistes peuvent se révéler particulièrement efficaces. L’un de ses axes de recherche consiste notamment à s’intéresser aux spécificités des femmes sur le spectre de l’autisme.

En 2018, le psychiatre David Gourion avait déjà réalisé un sondage anonyme demandant à des femmes autistes si elles avaient subi des agressions sexuelles, avant que son étude ne soit poursuivie par Fabienne Cazalis. C’est dans ce contexte, et plus précisément dans le cadre d’une mission pro-bono, qu’Elisabeth Reyes, consultante chez Auticonsult France, a pu prendre part à l’étude synthétisée précédemment.

En 2020, après avoir repris les données et l’article débuté par David Gourion, Elisabeth reprend le tableau de données issu du sondage et réalise de nouveau les calculs nécessaires à son analyse. Après une interruption de plusieurs mois incluant une mission chez un client, elle reprend ce travail en 2021, rédige une version du code et des données pouvant être publiées aux côtés de l’article scientifique. Bilingue en anglais et français, elle met également ses compétences au service de la rédaction de l’article, en assurant la bonne compréhension de son contenu, de ses résultats et de leur interprétation. Au cours de cette période marquée par la crise sanitaire de la Covid-19, elle exerce alors en télétravail, en collaboration avec Fabienne Cazalis avec qui elle s’entretient de manière hebdomadaire.

Si la mise en lumière de certains chiffres particulièrement alarmants, notamment ceux concernant la prévalence des type d’agressions multiples au sein de la population autiste féminine, a pu générer un certain impact émotionnel chez Elisabeth, cette-dernière déclare toutefois être parvenue à conserver une certaine distance avec son objet d’étude :

« Entre mon asocialité, ma difficulté à immédiatement comprendre l’implicite (qui réduit l’impact des situations qui ne vont pas plus loin que du verbal souvent codé) et ma chance de n’avoir moi-même jamais subi une agression, j’ai pu prendre une certaine distance avec le sujet malgré sa difficulté inhérente. Par conséquent, j’ai pu rester calme en lisant les portions où les personnes ayant répondu au sondage pouvaient s’exprimer avec leurs propres mots »

Déjà forte d’une thèse en biologie, Elisabeth relate avoir apprécié cette expérience, qui lui a permis de renouer avec le processus de recherche et de travailler en bonne collaboration avec la co-autrice de l’article :

« Il s’est révélé que les aspects de la rédaction d’articles scientifiques que Fabienne et moi préférons étaient complémentaires, donc la répartition des tâches s’est faite naturellement » 

En tant que référente en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et suppléante au sein du Conseil Social et Économique (CSE) d’Auticonsult France, Elisabeth s’estime aujourd’hui désormais plus apte à remplir sa mission si un cas de harcèlement devait se déclarer. Par ailleurs, elle a déjà pensé déjà à des pistes qu’il serait intéressant d’explorer à l’avenir pour prolonger cette étude comme par exemple d’inclure d’autres formes d’agressions sexuelles, ou porter un intérêt plus spécifique aux expériences des personnes autistes et/ou asexuelles. En effet, ces deux populations, qui se chevauchent parfois, pourraient présenter des similitudes en termes de difficulté pour comprendre certaines situations sociales liées à la vie sexuelle, et/ou l’expression et la perception de leur consentement (ou son absence), pouvant les exposer davantage à certains types d’agressions sexuelles.

  1. Cazalis F, Reyes E, Leduc S and Gourion D (2022) Evidence That Nine Autistic Women Out of Ten Have Been Victims of Sexual Violence. Front. Behav. Neurosci. 16:852203. doi: 10.3389/fnbeh.2022.852203

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